Voici le texte de Marie Tafforeau, Vice-Présidente de l'Association, prononcé à la Rencontre de l'Association le 29 Septembre 2007, à propos de son projet de thèse.
Aborder l’œuvre d’Edmond Ortigues est une entreprise ardue comme nombre d’entre nous le savent ici. L’œuvre est érudite et couvre de nombreux champs de réflexion. Il s’agit donc de trouver des entrées qui nous permettent au mieux de cerner sa pensée et d’en tirer tout l’intérêt intellectuel et humain.
Le thème de la religion, par le biais de la question de sa signification, de ses liens avec le droit et du conflit foi et croyance, est certainement une de ces portes d’entrées. Nous en avons pour preuve aujourd’hui ce recueil sur la révélation et le droit, sorti hier aux éditions Beauchesne.
Le concept de personne nous permet une autre incursion dans la pensée d’Edmond ortigues, de manière peut-être encore plus fédératrice.
Tout d’abord de nombreux articles portent explicitement sur ce sujet et nous donnent une base de travail.
Ainsi en 1969, Qu’est-ce qu’une personne ? dans la Revue internationale de philosophie
En 1975, Quelqu’un, texte inédit
En 1985, Le concept de personnalité dans Dialogue
En 1991, Identité personnelle, texte également inédit.
Pour ne donner que quelques exemples.
S’y ajoutent tous les travaux réalisés en collaboration avec Marie-Cécile Ortigues depuis Œdipe africain où se trouvent, en prémisses de l’aveu d’Edmond Ortigues lui-même, ses réflexions sur la personne, telles qu’il les poursuivra par la suite. Le contact avec la psychologie fut certainement un apport essentiel dans l’élaboration de ce concept de personne.
Mais il nous semble en fait que la source de cet intérêt pour la personne est à aller chercher plus loin, et ce dans sa formation religieuse. Par notre premier rapport de recherche initié par Jean Leclercq, de l’Université Catholique de Louvain, et portant sur Le monothéisme. La Bible et les philosophes, livre qu’Edmond Ortigues présente comme une sorte de testament intellectuel dans un certain domaine, nous avons pu nous rendre compte entre autres que l’humain attire toute l’attention d’Ortigues. Nous renvoyons par exemple aux dernières pages de ce livre dans le chapitre sur la croyance.
Cette préoccupation de l’humanité est de plus clairement présente déjà dans la lettre à Rome de 1952 où il propose, en conclusion à son long développement sur l’état des lieux de l’Eglise, une réflexion entre hommes au sein de l’Eglise pour sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouvait à la fin de la guerre, pour le résumé en quelques mots très incomplets. Nous trouvons, dans ce texte, cette phrase que nous avons mise en exergue de notre travail, je le cite : « la vérité de la religion se montrera par la manière dont elle traite les hommes, ses adversaires en particulier. » Phrase que nous pourrions largement commenter.
Nous pensons donc que le concept de personne s’est construit dés cette première période et a pris corps au fur et à mesure des différentes rencontres intellectuelles d’Edmond Ortigues au cours de sa vie : la religion chrétienne, la philosophie « classique », le tournant linguistique (nous renvoyons à la réédition du Discours et symbole), la philosophie analytique, les sciences cognitives… Notons l’importance de la dimension langagière qui l’a également beaucoup préoccupé. La personnalité se définissant par l’appartenance à un univers de communication. Différentes rencontres donc pour « aboutir » à une position à propos de laquelle nous avons eu l’occasion de discuter avec lui.
L’idée d’Edmond Ortigues était de sortir de l’équivoque actuelle sur le sujet et de mettre plutôt en évidence la double dimension de la personne à la fois individuelle et universelle. Le sujet est en effet un terme qui avait été employé par Kant qui parlait du sujet transcendantal désignant ainsi la pensée ou plus précisément l’unité de l’aperception liée à une idée d’expérience et à une idée d’universel. Mais il y a aussi le biographique, l’émotionnel par lequel évolue une personnalité. Ortigues établit un lien entre conscience de soi au sens cartésien et la psychologie comme genèse de la personnalité depuis l’enfance.
Son souhait était donc de se dégager de la tendance de la philosophie contemporaine à considérer que le sujet, c’est l’individu ou, autrement dit, à confondre le cogito cartésien avec la vie privée. Il y a en fait un double enracinement de la personne en tant qu’être vivant et en tant qu’être pensant. En effet, la personne est polyphonique. Son lien avec l’environnement est inscrit en elle par le biais de l’émotion. Par la raison, la personne devient plus impersonnelle et s’ouvre à l’universel.
Aborder la question de la personne, c’est ainsi traiter du problème de tout homme, non pas seulement du citoyen ou d’un homme lié à une culture, l’évolution de la personnalité étant un processus physiologique commun à tous. Il ne s’agira pas d’étudier un homme statique, mais au contraire les processus par lesquels les hommes changent, interagissent les uns avec les autres. L’idée de processus est fondamentale. Avant on aurait parlé de faculté dans le sens de possibilité.
Ce qui est essentiel, c’est l’idée qu’il y a des modes de présence, un devenir avec des moments qui sont distincts mais qui s’interpénètrent. Ainsi à l’intérieur du processus rationnel, il y a des moments émotionnels. Et dans les processus émotionnels, il y a des moments rationnels.
Plusieurs lignes de réflexion doivent donc se joindre : le biographique (contextué) et la pensée publique (non liée contextuellement).
Un autre aspect important est le caractère intuitif et le caractère discursif de la personne, qui ne peuvent être séparés. L’intuition est la pensée opérante dans le sens d’une saisie sans analyse mais qui oriente l’esprit. Le discours est le résultat d’un travail, d’un processus temporel.
Nous pouvons constater que le champ d’investigation est vaste et nous n’en sommes qu’au début, aux premières explorations. Cette première esquisse peut semblé encore confuse, mais nous sommes convaincue et de la richesse à découvrir et de l’importance de ce projet dans le processus de pérennisation de la pensée d’Edmond Ortigues
Marie Tafforeau
29 septembre 2007
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