Voici le texte de M. Claude Guillon, Directeur de l'UFR de philosophie de l'Université de Rennes 1, prononcé à la Rencontre de l'Association le 29 Septembre 2007.
Ce n'est pas au titre de mes fonctions actuelles que je souhaite dire quelques mots en hommage au professeur Edmond Ortigues bien que je sache pertinemment ce que lui doivent l'Université de Rennes 1 et l'UFR de philosophie qu'il a dirigée en son temps.
J'ai connu le Professeur Ortigues dès le début de mes études de philosophie en 1967-1968. Vous aurez deviné pourquoi je crois bon de préciser cette période mémorable. Cela dit, je ne l'avais pas en cours. D'ailleurs, dès avril et a fortiori en mai, allions-nous encore en cours ?
Ma première rencontre avec lui eut lieu dans l'escalier du bâtiment D du campus de Villejean. L'UER de philosophie se situait au dernier étage du dit-bâtiment. Ce jour de mai, nous (les étudiants) avions décidé de l'investir intégralement - il ne restait plus que le dernier étage à faire de la résistance - histoire d'en bloquer définitivement les missions. Et là, sur le palier situé entre le deuxième et le troisième étage, se tenaient parfaitement alignés quelques professeurs de philosophie avec à leur centre le Professeur Edmond Ortigues, la stature imposante, les bras croisés et le regard sévère. Une attitude qui signifiait sans la moindre ambiguïté :" pour accéder au dernier étage, il vous faudra d'abord me passer sur le corps ! Certes, mes petits camarades ont tenu à m'accompagner mais, comme vous pouvez le constater, je suis plutôt là pour les rassurer." De fait, il en imposait. Après quelques palabres et nos vociférations d'usage, nous nous sommes repliés en bon ordre vers l'amphi Descartes du rez-de-chaussée pour y tenir notre nième A.G. Pour ma part, le personnage m'avait tellement impressionné que je me suis bêtement réjoui de ne pas avoir eu à suivre ses cours jusqu'en licence.
Je vous fais grâce de mon parcours sinueux après ma maîtrise de philosophie. Il me suffira de dire qu'après avoir obtenu un DESS de psychopathologie j'ai occupé un poste de psychologue clinicien dans le service du Professeur André Badiche au CHSP de Rennes.
A la même époque - nous sommes en 76-77 - le Professeur Ortigues donnait et animait un séminaire à destination des internes en psychiatrie. Ce furent ces mêmes internes qui m'entraînèrent à ce séminaire. On y travaillait les écrits cliniques de Freud. Pour beaucoup de ces internes ce fut une véritable découverte, j'allais dire une révélation. Quant à moi, nanti d'un DESS de psychopathologie et préparant un DEA, je me croyais à jour, pour ne pas dire au parfum. Freud je l'avais lu attentivement. Lacan je l'avais travaillé avec des enseignants qui, pour certains d'entre eux, reproduisaient en différé et avec force transfert mal liquidé le séminaire de Sainte Anne.
Avec Edmond Ortigues, point d'esbroufe. C'était la sobriété et la clarté dans le propos, une analyse conceptuelle très serrée, un commentaire critique de la métapsychologie freudienne mais avec toujours ce souci de l'auditoire. Un auditoire qui découvrait en s'y frottant toute la richesse et les implications qu'on pouvait tirer d'un texte clinique. Avec lui, le retour à Freud en était vraiment un. Il avait valeur de "pré-texte", considérant comme vous le savez que les textes cliniques de Freud devaient être considérés avant tout comme le "journal de bord d'un clinicien". Il en extrayait toutes les ouvertures pour les prolonger par des considérations touchant à la pratique clinique, nous faisant toucher du doigt les limites de la théorie tout en nous rendant sensibles à ses implications anthropologiques. Bref, ce retour à Freud devenait une relecture sans aucun doute exigeante mais nécessaire pour toutes celles et ceux qui, sans être psychanalystes, allaient devoir se confronter à la souffrance humaine. Si, dans un tel contexte de travail, beaucoup de certitudes tombaient par contre, beaucoup de pistes de travail s'ouvraient.
Dans ces conditions, cela n'étonnera personne, si quelques années plus tard je pris rendez-vous avec lui pour lui demander de diriger ma thèse de doctorat. Quand je lui annonçai que je voulais travailler sur l'œuvre de Freud sans trop savoir encore ce que je voulais montrer, il me dit 'Croyez-vous que ce soit une bonne idée ?
Guillon Claude
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