11 décembre 2006 dans ACCUEIL, Actualité, Bibliographie, Biographie, Citations | Lien permanent
« Au commencement était le Verbe » Le temps de la parole, d’après Edmond Ortigues.
Communication d'Henri Bichot à la Journée d'Etudes sur la Question des Origines, le 23 Mai 2008 à Rennes
La question de l’origine, de notre origine, peut s’exprimer ainsi : d’où vient notre humanité ? Comment se fait-il que le mammifère bipède que nous sommes devient un être humain, capable de parler, de penser, de créer, d’aimer… ? On peut envisager cette question d’un point de vue scientifique, celui de l’évolution des espèces sur le plan biologique. On peut l’envisager aussi d’un point de vue philosophique et théologique. Je me propose de le faire à partir du petit livre d’Edmond Ortigues intitulé « Le temps de la parole ». De quelle parole s’agit-il ?
Avant tout de la Parole de Dieu qui nous crée et nous sauve en se révélant à nous. C’est le Verbe éternel, origine et fin de toute chose : « Au commencement était le Verbe ». Mais il s’agit aussi de la parole de l’homme qui, d’une certaine façon, nous révèle à nous-mêmes , étant à l’origine de ce que nous pensons et faisons, de sorte qu’on pourrait dire d’elle « au commencement est le verbe ». Pour moi, le livre d’Edmond Ortigues nous parle à la fois d’une genèse humaine qui fonde l’autonomie de la conscience, la liberté de l’esprit, et d’une genèse divine qui fonde la foi en Dieu et l’espérance de la vie éternelle.
Mais avant de développer ce que signifient l’une et l’autre genèse et de nous interroger sur les rapports qu’elles ont entre elles, il nous faut situer « Le temps de la parole » dans la vie et l’œuvre d’Edmond Ortigues où ce livre occupe une place tout à fait particulière.
En effet, le livre est publié en 1954 dans une collection protestante, ainsi qu’un article de la même veine sur l’Epître aux Romains de Saint Paul, la même année, également dans une revue protestante. Or, nous sommes deux ans après la fameuse lettre à Rome de 1952, avec la condamnation de son auteur obligé de quitter toute fonction ecclésiastique en retrouvant comme simple laïc sa liberté de parole.
Et pourtant, c’est une parole de chrétien exprimant sa foi qu’Edmond Ortigues adresse au lecteur du « temps de la parole » en 1954. Ensuite, il n’écrira plus sur la religion chrétienne comme sur toute religion qu’avec le recul de l’historien bénéficiant des savoirs acquis par l’exégète et le théologien. Quant à la réflexion du philosophe, elle lui est consubstantielle… Avec ce livre, nous éprouvons donc le sentiment qu’une profonde mue est à l’œuvre dans la vie et la pensée d’Edmond Ortigues, sans nous permettre d’empiéter davantage sur ce qui n’appartient qu’à lui seul.
Observons encore que « Le temps de la parole » (1954) se situe exactement entre sa thèse de théologie intitulée « Histoire et Parole de Dieu » (1948) et sa thèse de philosophie sur « Le discours et le symbole » (1959) . On le voit : la question de la parole et du langage n’a cessé d’occuper une place de choix dans la pensée et les écrits d’Edmond Ortigues.
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Abordons maintenant notre sujet en citant cette phrase assez piquante du Préambule qui ouvre le livre : « N’est-il pas regrettable que l’étrange locution « Parole de Dieu » n’ait pas davantage incité les théologiens à méditer sur le langage ? » (p. 6). Avant d’en venir à la Parole de Dieu, nous sommes donc invités à réfléchir sur le langage. Commençons donc par nous interroger sur la parole humaine telle qu’elle apparaît au premier abord et telle qu’elle est en réalité à la réflexion.
Pour le sens commun, le langage, oral ou écrit, discursif ou symbolique, est d’abord le moyen d’exprimer et de communiquer ce que nous pensons, ce que nous sentons ou ce que nous voulons, comme si les activités de l’esprit précédaient l’outil dont elles ont besoin pour s’extérioriser. De la même façon, il est courant de croire que la société est à l’origine du langage, ce que semblerait confirmer le fait que chaque groupe humain en son pays a sa propre langue. Le fait, également, que l’enfant apprend à parler la langue de ses parents, sa langue maternelle qui le précède et qui va progressivement l’humaniser en le civilisant. On peut dire aussi que les langues sont un produit historique, autant qu’une condition de la vie sociale : elles naissent, elles évoluent et elles meurent, très nombreuses à disparaître, comme l’a montré Claude Hagège.
Au total, qu’il s’agisse du monde où nous vivons, du groupe social auquel nous appartenons, de l’histoire à laquelle nous participons, tout cela semble bien précéder et engendrer le langage dont nous disposons et qui , pour une bonne part, dispose de nous, tellement nous sommes submergés par tout ce qui se dit et s’écrit autour de nous.
Et pourtant, si nous évoquons, par contraste sans doute, un homme de parole, qui donne sa parole et qui tient parole, il ne s’agit plus alors de l’emploi du langage utile ou futile, mais d’une promesse, d’un engagement où la parole et l’homme ne font qu’un.
C’est précisément cette unité de l’homme et de la parole que cherche à nous faire comprendre Edmond Ortigues dans « Le temps de la parole » où il développe cette idée que la parole fait l’homme ou, pour employer le verbe actif, que l’homme est originairement un être qui parle, ce qui revient à opérer un renversement complet de l’opinion qui prétend trouver l’origine du langage ailleurs qu’en lui-même.
En effet, nous dit Edmond Ortigues, « La parole ne se définit pas en premier lieu par sa forme extérieure, mais par sa raison d’être » (p. 15). Cette raison d’être n’étant autre que l’avènement de la conscience personnelle, « demander le pourquoi de la parole revient à s’interroger sur la genèse de tous les pourquoi » (p. 15). Ce qui caractérise la parole comme la conscience, c’est qu’elle n’est pas prisonnière de l’instant présent, mais qu’elle anticipe toujours l’avenir, le plus proche comme le plus lointain. Anticiper, se projeter dans l’avenir que nous évoquons en parlant, à nous-même comme à autrui, c’est nous affirmer comme un sujet, une personne, un esprit, irréductible à tout ce qui n’est pas lui. C’est ce qu’Edmond Ortigues appelle « l’anticipation ou la présupposition de soi par soi », ou encore « la conscience originaire de soi par soi ». La parole n’est rien d’autre alors que la possibilité de s’anticiper, d’exister comme sujet : une conscience autonome. Parler et s’affirmer comme sujet ne sont donc pas deux actes distincts dont on pourrait se demander lequel est la cause de l’autre, mais un acte unique à renouveler sans cesse, mystérieusement créateur de la personnalité et de la communauté humaine.
Cela nous amène à analyser, comme le fait Edmond Ortigues, tout ce qu’implique cette genèse de notre humanité, particulièrement sur trois points : notre rapport à autrui, notre rapport au monde et notre rapport au temps.
La parole humaine implique en premier lieu la reconnaissance d’autrui. Avant de parler de quelque chose, nous parlons à quelqu’un. Ainsi, l’enfant qui parle à sa mère manifeste à la fois une relation privilégiée et le désir de s’insérer dans le monde humain. Nous affirmer comme sujet par la parole, c’est du même coup reconnaître comme sujets ceux à qui nous parlons ou qui nous parlent. C’est ce qu’Edmond Ortigues appelle « la réciprocité des consciences » , et il décrit admirablement ce qu’exige de don de soi et d’accueil inconditionnel de l’autre en tant que tel toute rencontre et tout échange véritable avec autrui. Il nous dit encore : « on ne peut être raisonnable tout seul, il faut l’être tout seul ensemble » (p. 54).
Quant au monde, il n’est peut-être pas ce que nous croyons trop facilement en le considérant comme un vaste ensemble dont nous ferions partie. Ici encore, Edmond Ortigues rectifie le tir : « le monde ne forme un tout que parce qu’il nous renvoie toujours à la conscience originaire de nous-mêmes comme à la condition première de toute synthèse, de toute signification, de toute vérité vérifiable dans l’expérience » (p. 27). Le sujet humain « ne pourra jamais être situé dans un tout, celui de la nature ou celui de la cité, qu’il ne s’y situe lui-même, qu’il ne construise lui-même le tout dans lequel il s’insère » (p. 27). En conséquence, « ce monde où nous sommes embarqués, embourbés, entraînés par des forces collectives, ce monde est à faire et à refaire, à nous de le transformer ou de nous contenter d’en goûter les fruits et du coup mourir comme esprit » (p.54).
En troisième lieu, la parole est à l’origine du caractère historique de l’homme comme être humain, ou mieux pour être humain. Le temps de la parole est le temps historique, qui n’est pas le temps naturel de l’évolution. L’histoire qui se déroule et se raconte est-elle un enchaînement d’évènements qui s’impose à nous ? Ici encore, il nous faut inverser notre façon de penser et remonter au fondement de notre historicité, en rappelant que par la parole nous anticipons l’avenir dans le présent en relation avec le passé. C’est là le mouvement de la pensée, le schéma de l’acte libre, la perspective d’un être qui se donne une destinée en assumant les conditions de son existence, de sa finitude. Ainsi se crée l’histoire véritablement humaine.
Concluons cette réflexion sur la parole humaine en citant Edmond Ortigues au dernier chapitre de son livre : « Nous demeurons embourbés dans notre adhérence pâteuse au contenu matériel de la parole sans ressaisir le principe de discernement lui-même. Lorsque le sujet s’est perdu lui-même, tout est perdu, […] il n’y a plus personne pour entendre ou pour dire une parole humaine. Il n’y a plus d’hommes, il n’y a que des forts en thème » et, ajouterai-je, des forts en gueule.
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Le temps de la parole, pour Edmond Ortigues en 1954, est avant tout le temps de la Parole de Dieu. La démarche par laquelle il dégage le sens de la parole humaine préfigure la façon dont il dégage le sens authentique de la Parole de Dieu comme origine ultime et absolue de notre être-au-monde jusqu’à la mort et de notre être-à-Dieu pour l’éternité.
Pour commencer, il ne faut pas se faire d’illusions : « Pour la plupart des hommes, écrit Edmond Ortigues, et pour tous les hommes la plupart du temps, la religion c’est de la musique, quelque chose comme un nom propre qui n’est ni vrai ni faux et à propos de quoi il serait bien inutile de se fatiguer pour prouver que « ça existe » ou que « ça n’existe pas » (p. 21). Voilà pour la religion du Bon Dieu…De toute façon, Dieu n’existe qu’en se révélant à nous comme le Tout Autre, et le mot même d’existence ne peut avoir le même sens pour lui et pour nous. La tentation est grande de donner au nom de Dieu un contenu immédiat, plus ou moins mystique ou plus ou moins utilitaire, qui est alors imaginaire et n’affecte que celui qui en parle. « Le rapport direct à Dieu, dit Kierkegaard, est justement le paganisme, et ce n’est que quand ce rapport est rompu qu’il peut être question d’un vrai rapport avec Dieu ».
S’il ne peut être direct, le rapport à Dieu a donc besoin d’une médiation. Le médiateur de Dieu est Jésus-Christ, pour la foi chrétienne. Mais si l’Eglise de Jésus-Christ devient l’Eglise du pape et du système clérical dont Edmond Ortigues a montré dans sa Lettre à Rome qu’ils pouvaient dénaturer radicalement le message évangélique, la Parole de Dieu, en se l’appropriant abusivement, il est nécessaire alors d’opérer un renversement dans la pensée chrétienne, dans la théologie elle-même et la prédication, pour retrouver le principe essentiel de la Révélation.
C’est ce qu’Edmond Ortigues se propose de faire dans « Le temps de la parole » où il écrit : « Il paraît assez normal que l’on ne puisse s’interroger sur la foi chrétienne sans s’obliger à la développer tout entière de l’intérieur » (p. 36). Sans prétendre à l’exhaustivité, relevons ici quelques étapes importantes de cette démarche spirituelle.
Commençons par le nom de Dieu. Nul ne peut préjuger de ce qu’il est en l’appelant un pur esprit, l’être suprême ou l’être parfait. Il revient à lui seul de se nommer, de se faire connaître et reconnaître. C’est ainsi qu’il s’adresse à Moïse en lui donnant pour mission de faire sortir les hébreux d’Egypte où ils sont réduits en servitude. « S’ils me demandent quel est ton nom, que leur dirai-je ? » s’inquiète Moïse. Il lui est répondu par le mot de « Yahweh » qu’on a traduit longtemps : « Je suis celui qui suis », comme si c’était une affirmation ontologique, mais qu’on traduit plus justement aujourd’hui : « Je suis qui je suis » ce qui revient à ne pas répondre en déjouant toute curiosité humaine, à révéler le caractère énigmatique et mystérieux de celui qui parle (ainsi disons-nous par exemple : « je sais ce que je sais »). Sa Parole ne fait qu’un avec lui, il est l’Unique, l’Incomparable, sans aucune commune mesure avec ce que nous pouvons dire de lui. Nous ne pouvons que faire confiance à sa Parole, c’est-à-dire à lui-même et c’est ce qu’on appelle la foi. On comprend alors, comme le souligne Edmond Ortigues, que la foi en Yahweh trouve son expression dans le culte sans image qui caractérise le monothéisme biblique, judaïque ou chrétien, du moins dans les premiers temps du christianisme.
Une autre conséquence de la transcendance ou de l’altérité divine, c’est que le monde créé par Dieu ne nous révèle rien de lui. Comme Créateur, il ne peut être l’horloger dont parle Voltaire, car il n’est pas du monde et ne fait pas partie de l’ordre des choses. Comme Créateur, il reste caché et l’acte de création reste mystérieux. Le monde comme tel est le silence de Dieu. Nous sommes bien loin des arguments classiques qui cherchent à prouver l’existence de Dieu à partir de l’existence du monde.
Mais le Dieu caché est en même temps le Dieu révélé par la Parole et la Promesse qu’il fait entendre par la parole de ses envoyés au peuple avec lequel il fait alliance. On voit bien par là que ce n’est pas nous qui allons à Dieu par le moyen du monde ou de la raison, mais que c’est Dieu qui vient à nous en nous faisant entendre sa Parole, Dieu qui se révèle à nous en nous convertissant à lui. Ce n’est donc pas dans le monde naturel que retentit la Parole de Dieu qui nous appelle, mais c’est dans une histoire humaine appelée à devenir l’histoire sainte.
Nous arrivons ici au moment capital du « temps de la parole », celui de la médiation de Jésus-Christ, qui est la Parole de Dieu incarnée, le Verbe fait chair de l’évangile de Jean. Pour aller à l’essentiel, disons que l’Alliance conclue par Dieu avec le peuple d’Israël s’accomplit dans la nouvelle Alliance universelle dont Jésus-Christ mort et ressuscité est le médiateur. Le nom propre de Dieu n’est plus seulement Yahweh, mais le Père, le Fils et le Saint Esprit, car c’est l’Esprit qui nous fait reconnaître le Fils qui nous conduit au Père pour faire de nous ses fils adoptifs pour l’éternité. Edmond Ortigues insiste sur cette structure ou plutôt ce mouvement trinitaire auquel nous adhérons par la foi dans la grâce qui nous est faite.
Enfin, de même que la parole humaine, dans le présent de la conscience, anticipe l’avenir en référence au passé et donne ainsi son sens au temps qui devient une histoire et une destinée, de même la Parole de Dieu, dans le présent de la foi, anticipe l’avenir eschatologique, ultime, en référence à l’ancien et au nouveau testament, et donne ainsi au temps son sens d’histoire du salut. Mais, tandis que la destinée terrestre de l’homme doit compter avec la finitude de sa condition mortelle, la foi en Jésus-Christ donne aux hommes mortels l’espérance de la résurrection, de l’entrée dans le Royaume de Dieu, c'est-à-dire de la participation à la vie éternelle, transhistorique, de la Sainte Trinité.
« Le Dieu de l’Evangile, écrit Edmond Ortigues, n’a rien avant lui ni rien après lui, il n’est le résultat ni le moyen de rien. La fin dernière de l’homme est de trouver Celui qui est le commencement » (p. 13). C’est ce que nous dit Saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut ne fut sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise. » (Jean 1,1-5).
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Jusqu’ici, j’ai traité successivement de la parole humaine et de la Parole de Dieu, en m’autorisant d’une remarque méthodologique faite par Edmond Ortigues à la fin du Préambule de son livre : « Pour rendre possible une reprise en nous-mêmes de ce que nous lisons dans l’Ecriture, il nous semble que la théologie exégétique et la philosophie doivent s’approfondir réciproquement par les questions qu’elles se posent l’une à l’autre et que chacune doit pouvoir résoudre suivant ses propres principes ».
En réalité, la démarche réflexive adoptée par Edmond Ortigues va de la parole de l’homme à la Parole de Dieu et réciproquement tout au long du livre, car le temps de la parole est, au regard de la foi, le temps de leur rencontre et de leur union. Ce sont donc leurs rapports que nous allons maintenant expliciter.
Tout d’abord, seule une conscience originaire de soi, une personne, un sujet, peut reconnaître et accueillir le Dieu vivant dans la personne de Jésus-Christ, lui faisant une entière confiance en tant que Parole de Dieu, ce qui est la foi même. Il ne peut s’agir que d’un acte libre, de notre liberté humaine face à la liberté divine. « En retrouvant comme unique point de vue possible pour le théologien la Parole de Dieu dans l’appel à la conversion, on rejoint la dialectique constitutive des rapports humains, le cheminement réel de la parole » (p. 42). « Jésus-Christ est le médiateur en qui s’unissent Dieu dans sa Parole (celle de la Révélation) et l’homme dans sa parole (la confession de la foi) » (p. 7).
En second lieu, c’est comme être-au-monde que nous avons à devenir libres et à exercer notre liberté en prenant nos responsabilités vis-à-vis de nous-mêmes comme vis-à-vis des autres et de tout ce qui fait notre vie et notre histoire communes. L’idée importante ici est que la conversion à Dieu renvoie l’homme à sa responsabilité dans le monde : « aucune œuvre, aucune tâche ne peut être justifiée au nom de Dieu si elle ne peut l’être au nom de l’homme » (p. 50). Cela signifie d’abord que Dieu n’étant pas de ce monde n’a pas à être impliqué dans les affaires du monde, et ensuite que l’autonomie de l’homme en ce monde est entière et garantit l’authenticité de la conversion à Dieu. « Pour résoudre les problèmes de la vie morale, nous dit Edmond Ortigues, la foi n’ajoute rien à ce que la raison et la sensibilité confèrent à tous. Nul ne peut adorer Dieu dans sa condition de Dieu s’il ne respecte l’homme dans sa condition d’homme. La médiation de Jésus-Christ sanctifie la foi en profanant les œuvres » (p. 31). Et encore : « Sous prétexte de subordonner l’idéal à Dieu, on finit par subordonner Dieu à notre idéal dit chrétien. Alors, tout est sacralisé, équivoque. Impossible de sortir de cette équivoque tant que l’on n’a pas brisé le cercle vicieux »(p. 31, note 2).
Enfin, si Dieu nous a doués de la parole et de l’autonomie, c’est pour que, en assumant notre finitude, nous devenions réceptifs et disponibles à sa Parole, à la Révélation qu’elle nous fait de sa souveraineté absolue et de notre dépendance radicale à son égard. A Dieu revient l’initiative créatrice et rédemptrice, à l’homme revient le pouvoir de dire oui ou non, « l’option fondamentale de la grâce et du péché » (p.29). « Le monde n’est pas neutre, il sera mauvais ou en voie de rédemption, car il bascule tout entier sur notre propre choix » (p. 27). Concluons avec Edmond Ortigues : « La Parole de Dieu s’adresse à cette créature dont la raison d’être consiste à ne pouvoir se trouver et se reconnaître définitivement elle-même que dans la vérité absolue de l’être qui, en se justifiant lui-même, justifie toutes choses » (p. 44). « Et s’il faut philosopher à nos risques et périls, c’est pour répondre à cette Parole qui a réservé son unicité historique une fois pour toute dans le silence de la terre » (p. 27).
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Au terme de cet essai pour comprendre la pensée d’Edmond Ortigues dans « Le temps de la parole », notamment en ce qui concerne notre origine en tant qu’hommes, on ne peut s’empêcher de se poser des questions comme celles-ci : comment se fait-il que la Parole de Dieu ne soit audible qu’à travers des paroles humaines, des prophètes à Jésus et de Jésus aux apôtres et à l’Eglise, alors qu’une parole humaine ne renvoie qu’à la personne qui la prononce ? Que se passe-t-il quand la foi « se met elle-même à l’épreuve en face de la réalité effectivement offerte à l’expérience commune » ? (p. 36). Peut-on tenir pour vrai ce qui n’est pas vérifiable par toute personne dans les mêmes conditions ? N’est-il pas paradoxal de voir dans la dépendance radicale de l’homme à l’égard de Dieu ce qui fonde son autonomie entière à l’égard du monde? La théologie aurait-elle besoin de la philosophie, alors que la philosophie pourrait se passer de la théologie ? Comment comprendre que le temps de la parole puisse à la fois s’accomplir et s’abolir dans l’éternel présent de Dieu ? Quels rapports y a-t-il entre l’histoire humaine et l’histoire du salut ?
A toutes ces questions, et bien d’autres, Edmond Ortigues cherchera à répondre par sa parole et ses écrits tout au long de la cinquantaine d’années qui ont suivi la publication du « Temps de la parole ».
17 juin 2008 dans Textes sur Edmond Ortigues | Lien permanent | Commentaires (0)
Journée d'étude " Edmond Ortigues et la question de l'origine "
23 Mai 2008 à Rennes
10h15 – Accueil des participants par Pierre Joray, directeur de l’UFR de philosophie de Rennes 1
10h30 – Edmond Ortigues et l'histoire des religions par Dominique Iogna Prat, directeur de recherches au CNRS, Laboratoire de Médiévistique occidentale de Paris (LAMOP)
11h45 – visite du Fonds Ortigues à la Bibliothèque universitaire du campus de Beaulieu
12h30 – déjeuner
14h – "Au commencement était le Verbe" Le temps de la parole d'après Edmond Ortigues par Henri Bichot, professeur de philosophie
14h45 – Clinique et question des origines par Mohand Chabane, psychanalyste
15h30 – 16h – pause
16h – Autour de la question du père par Michelle Hémery, professeur de philosophie
17h – Discussion générale
Renseignements pratiques
La journée d’étude aura lieu à l’UFR de Philosophie de l’université de Rennes 1
263, avenue du Général Leclerc
Campus de Beaulieu, Allée Etienne Marey, bâtiment 32B, salle 12
accès de la gare par métro, arrêt « République », puis bus 16 direction Beaulieu, arrêt restaurant universitaire
Le midi possibilité de restauration sur le campus,
Un buffet est prévu (15 euros par personne)
Inscription, accompagnée d’un chèque à l’ordre de SGDA, à envoyer avant le 17 mai à
Dominique Berlioz,
5, rue Brossay Saint Marc, 35700 Rennes
Le même jour , une réunion des membres de l'Association se tiendra de 17h30 à 18h30 pour évoquer les points suivants :
- la proposition de changement de nom de l'association en "Les Amis d'Edmond et de Marie-Cécile Ortigues" et ses conséquences sur le fonctionnement de l'Association
- les projets en cours ou à venir
- la préparation de l'Assemblée Générale de septembre 2008
09 mai 2008 dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0)
Edmond ORTIGUES
Le discours et le symbole
ISBN 978-2-7010-1509-5
Depuis sa parution en 1962, Le Discours et le Symbole a été considéré comme la référence majeure pour tout ce qui se rapporte à la philosophie de l’analyse structurale : « Quant à la philosophie du structuralisme, ce n’est pas Foucault qui l’a donnée dans Les Mots et les Choses, mais Edmond Ortigues dans Le Discours et le Symbole » (V. Descombes).
Le livre se présente comme une « revue générale des formes à travers lesquelles nous nous cherchons nous-mêmes » : l’examen patient des rapports entre la forme et le sens donne lieu à une fine méditation sur les concepts d’expression, de signal, de signe, de symbole, de langue et de discours.
L’ouvrage est ici proposé au lecteur dans une nouvelle édition, corrigée et augmentée. La préface de Vincent Descombes montre comment Le Discours et le Symbole offre le moyen de surmonter la philosophie de la conscience, sur les trois versions du « tournant linguistique ». Un entretien inédit avec Pierre Le Quellec-Wolff, réalisé quelques semaines avant le décès du philosophe, témoigne du regard porté par Edmond Ortigues sur son livre, plus de quarante ans après sa première publication.
L’oeuvre originale et stimulante d’Edmond Ortigues (1917-2005) explore en profondeur les domaines de la théologie, de l’histoire, de la philosophie, de l’épistémologie, de l’anthropologie, de la logique, de la linguistique et de la psychanalyse. Il a notamment publié Œdipe africain (1966, en collaboration avec Marie-Cécile Ortigues), Religions du livre, religions de la Coutume (1981), Le Monothéisme (1999), Sur la philosophie et la religion, les entretiens de Courances (2003), et, aux éditions Beauchesne, La Révélation et le Droit (2007).
Table des matières/ Table of contents
7 Cité Cardinal Lemoine 75005 Paris tél. : 01 53 10 08 18 fax : 01 53 10 85 19
WWW.EDITIONS-BEAUCHESNE.COM
08 mars 2008 dans Présentation des livres | Lien permanent | Commentaires (0)
Edmond ORTIGUES
LA RÉVÉLATION ET LE DROIT. Précédé de « Lettre à Rome »
ISBN 978-2-7010-1486-9
Édition revue par Pierre Le Quellec-Wolff
Edmond Ortigues présentait ainsi, peu avant sa mort, La Révélation et le Droit, qu’il se préparait à publier : « Il a fallu des millénaires pour que le droit se différencie peu à peu de la religion, et finalement se laïcise. D’où viennent les difficultés ?
La première partie de ce livre étudie les conceptions de la société chrétienne au début et à la fin du Moyen Âge : la question des “trois ordres” à l’époque carolingienne, puis les traditions au concile de Trente. Il apparaît que la Loi divine est identifiée par référence aux origines de la communauté croyante, suivant le même schéma par lequel les peuples se divisent par référence à leurs origines ancestrales. L’histoire de la religion est la pré-histoire du droit. Cependant, au cours des siècles, le sentiment religieux échappe de plus en plus à l’institution à mesure qu’il devient plus personnel. Dans cette perspective, le thème de la deuxième partie montre que les différences entre lois rituelles et lois civiles supposent deux attitudes différentes à l’égard de l’histoire. Finalement la question se résume dans une question centrale : comment identifier un dieu ? Comment le distinguer de ce qui n’est pas lui ? L’identification de la divinité est normative, institutionnelle, législative plutôt que démonstrative. D’où l’interrogation de saint Augustin : “Qu’est-ce que j’aime quand j’aime mon Dieu ?” (Confessions, XI). »
À cet ensemble, introduit par Dominique Iogna-Prat, a été adjointe, en ouverture, la fameuse « Lettre à Rome » de 1950-1952, restée inédite. Dans ce texte vibrant qu’Edmond Ortigues a intitulé « Le problème de la liberté d’expression dans les structures actuelles de l’Église », on peut voir un appel à « la lutte contre la magie sociale des mots » : dans un monde où « l’exigence critique est devenue affaire de loyauté, l’inconscience devient une complicité, le refus de voir, refus d’aimer ».
L’œuvre originale et stimulante d’Edmond Ortigues (1917-2005) explore en profondeur les domaines de la théologie, de l’histoire, de la philosophie, de l’épistémologie, de l’anthropologie, de la logique, de la linguistique et de la psychanalyse. Il a notamment publié Œdipe africain (1966, en collaboration avec Marie-Cécile Ortigues), Religions du livre, religions de la Coutume (1981), Le Monothéisme (1999), Sur la philosophie et la religion, les entretiens de Courances (2003), Le Discours et le Symbole (1962, nouvelle édition, Beauchesne, 2007).
Table des matières/ Table of contents
08 mars 2008 dans Présentation des livres | Lien permanent | Commentaires (0)
Le fonds Edmond Ortigues, issu du legs de sa bibliothèque personnelle, sera inauguré le Vendredi 14 mars 2008 à 14h00 à l'Université de Rennes 1. Cette manifestation sera suivie par l'inauguration de la Salle Edmond Ortigues à l'UFR de Philisophie.
21 février 2008 dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (2)
Une journée d'étude sera organisée le 23 Mai 2008 à Rennes sur le thème "La question de l'origine".
31 décembre 2007 dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0)
Voici le texte de Marie Tafforeau, Vice-Présidente de l'Association, prononcé à la Rencontre de l'Association le 29 Septembre 2007, à propos de son projet de thèse.
Aborder l’œuvre d’Edmond Ortigues est une entreprise ardue comme nombre d’entre nous le savent ici. L’œuvre est érudite et couvre de nombreux champs de réflexion. Il s’agit donc de trouver des entrées qui nous permettent au mieux de cerner sa pensée et d’en tirer tout l’intérêt intellectuel et humain.
Le thème de la religion, par le biais de la question de sa signification, de ses liens avec le droit et du conflit foi et croyance, est certainement une de ces portes d’entrées. Nous en avons pour preuve aujourd’hui ce recueil sur la révélation et le droit, sorti hier aux éditions Beauchesne.
Le concept de personne nous permet une autre incursion dans la pensée d’Edmond ortigues, de manière peut-être encore plus fédératrice.
Tout d’abord de nombreux articles portent explicitement sur ce sujet et nous donnent une base de travail.
Ainsi en 1969, Qu’est-ce qu’une personne ? dans la Revue internationale de philosophie
En 1975, Quelqu’un, texte inédit
En 1985, Le concept de personnalité dans Dialogue
En 1991, Identité personnelle, texte également inédit.
Pour ne donner que quelques exemples.
S’y ajoutent tous les travaux réalisés en collaboration avec Marie-Cécile Ortigues depuis Œdipe africain où se trouvent, en prémisses de l’aveu d’Edmond Ortigues lui-même, ses réflexions sur la personne, telles qu’il les poursuivra par la suite. Le contact avec la psychologie fut certainement un apport essentiel dans l’élaboration de ce concept de personne.
Mais il nous semble en fait que la source de cet intérêt pour la personne est à aller chercher plus loin, et ce dans sa formation religieuse. Par notre premier rapport de recherche initié par Jean Leclercq, de l’Université Catholique de Louvain, et portant sur Le monothéisme. La Bible et les philosophes, livre qu’Edmond Ortigues présente comme une sorte de testament intellectuel dans un certain domaine, nous avons pu nous rendre compte entre autres que l’humain attire toute l’attention d’Ortigues. Nous renvoyons par exemple aux dernières pages de ce livre dans le chapitre sur la croyance.
Cette préoccupation de l’humanité est de plus clairement présente déjà dans la lettre à Rome de 1952 où il propose, en conclusion à son long développement sur l’état des lieux de l’Eglise, une réflexion entre hommes au sein de l’Eglise pour sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouvait à la fin de la guerre, pour le résumé en quelques mots très incomplets. Nous trouvons, dans ce texte, cette phrase que nous avons mise en exergue de notre travail, je le cite : « la vérité de la religion se montrera par la manière dont elle traite les hommes, ses adversaires en particulier. » Phrase que nous pourrions largement commenter.
Nous pensons donc que le concept de personne s’est construit dés cette première période et a pris corps au fur et à mesure des différentes rencontres intellectuelles d’Edmond Ortigues au cours de sa vie : la religion chrétienne, la philosophie « classique », le tournant linguistique (nous renvoyons à la réédition du Discours et symbole), la philosophie analytique, les sciences cognitives… Notons l’importance de la dimension langagière qui l’a également beaucoup préoccupé. La personnalité se définissant par l’appartenance à un univers de communication. Différentes rencontres donc pour « aboutir » à une position à propos de laquelle nous avons eu l’occasion de discuter avec lui.
L’idée d’Edmond Ortigues était de sortir de l’équivoque actuelle sur le sujet et de mettre plutôt en évidence la double dimension de la personne à la fois individuelle et universelle. Le sujet est en effet un terme qui avait été employé par Kant qui parlait du sujet transcendantal désignant ainsi la pensée ou plus précisément l’unité de l’aperception liée à une idée d’expérience et à une idée d’universel. Mais il y a aussi le biographique, l’émotionnel par lequel évolue une personnalité. Ortigues établit un lien entre conscience de soi au sens cartésien et la psychologie comme genèse de la personnalité depuis l’enfance.
Son souhait était donc de se dégager de la tendance de la philosophie contemporaine à considérer que le sujet, c’est l’individu ou, autrement dit, à confondre le cogito cartésien avec la vie privée. Il y a en fait un double enracinement de la personne en tant qu’être vivant et en tant qu’être pensant. En effet, la personne est polyphonique. Son lien avec l’environnement est inscrit en elle par le biais de l’émotion. Par la raison, la personne devient plus impersonnelle et s’ouvre à l’universel.
Aborder la question de la personne, c’est ainsi traiter du problème de tout homme, non pas seulement du citoyen ou d’un homme lié à une culture, l’évolution de la personnalité étant un processus physiologique commun à tous. Il ne s’agira pas d’étudier un homme statique, mais au contraire les processus par lesquels les hommes changent, interagissent les uns avec les autres. L’idée de processus est fondamentale. Avant on aurait parlé de faculté dans le sens de possibilité.
Ce qui est essentiel, c’est l’idée qu’il y a des modes de présence, un devenir avec des moments qui sont distincts mais qui s’interpénètrent. Ainsi à l’intérieur du processus rationnel, il y a des moments émotionnels. Et dans les processus émotionnels, il y a des moments rationnels.
Plusieurs lignes de réflexion doivent donc se joindre : le biographique (contextué) et la pensée publique (non liée contextuellement).
Un autre aspect important est le caractère intuitif et le caractère discursif de la personne, qui ne peuvent être séparés. L’intuition est la pensée opérante dans le sens d’une saisie sans analyse mais qui oriente l’esprit. Le discours est le résultat d’un travail, d’un processus temporel.
Nous pouvons constater que le champ d’investigation est vaste et nous n’en sommes qu’au début, aux premières explorations. Cette première esquisse peut semblé encore confuse, mais nous sommes convaincue et de la richesse à découvrir et de l’importance de ce projet dans le processus de pérennisation de la pensée d’Edmond Ortigues
Marie Tafforeau
29 septembre 2007
31 décembre 2007 dans Textes sur Edmond Ortigues | Lien permanent | Commentaires (0)
Voici le texte de M. Claude Guillon, Directeur de l'UFR de philosophie de l'Université de Rennes 1, prononcé à la Rencontre de l'Association le 29 Septembre 2007.
Ce n'est pas au titre de mes fonctions actuelles que je souhaite dire quelques mots en hommage au professeur Edmond Ortigues bien que je sache pertinemment ce que lui doivent l'Université de Rennes 1 et l'UFR de philosophie qu'il a dirigée en son temps.
J'ai connu le Professeur Ortigues dès le début de mes études de philosophie en 1967-1968. Vous aurez deviné pourquoi je crois bon de préciser cette période mémorable. Cela dit, je ne l'avais pas en cours. D'ailleurs, dès avril et a fortiori en mai, allions-nous encore en cours ?
Ma première rencontre avec lui eut lieu dans l'escalier du bâtiment D du campus de Villejean. L'UER de philosophie se situait au dernier étage du dit-bâtiment. Ce jour de mai, nous (les étudiants) avions décidé de l'investir intégralement - il ne restait plus que le dernier étage à faire de la résistance - histoire d'en bloquer définitivement les missions. Et là, sur le palier situé entre le deuxième et le troisième étage, se tenaient parfaitement alignés quelques professeurs de philosophie avec à leur centre le Professeur Edmond Ortigues, la stature imposante, les bras croisés et le regard sévère. Une attitude qui signifiait sans la moindre ambiguïté :" pour accéder au dernier étage, il vous faudra d'abord me passer sur le corps ! Certes, mes petits camarades ont tenu à m'accompagner mais, comme vous pouvez le constater, je suis plutôt là pour les rassurer." De fait, il en imposait. Après quelques palabres et nos vociférations d'usage, nous nous sommes repliés en bon ordre vers l'amphi Descartes du rez-de-chaussée pour y tenir notre nième A.G. Pour ma part, le personnage m'avait tellement impressionné que je me suis bêtement réjoui de ne pas avoir eu à suivre ses cours jusqu'en licence.
Je vous fais grâce de mon parcours sinueux après ma maîtrise de philosophie. Il me suffira de dire qu'après avoir obtenu un DESS de psychopathologie j'ai occupé un poste de psychologue clinicien dans le service du Professeur André Badiche au CHSP de Rennes.
A la même époque - nous sommes en 76-77 - le Professeur Ortigues donnait et animait un séminaire à destination des internes en psychiatrie. Ce furent ces mêmes internes qui m'entraînèrent à ce séminaire. On y travaillait les écrits cliniques de Freud. Pour beaucoup de ces internes ce fut une véritable découverte, j'allais dire une révélation. Quant à moi, nanti d'un DESS de psychopathologie et préparant un DEA, je me croyais à jour, pour ne pas dire au parfum. Freud je l'avais lu attentivement. Lacan je l'avais travaillé avec des enseignants qui, pour certains d'entre eux, reproduisaient en différé et avec force transfert mal liquidé le séminaire de Sainte Anne.
Avec Edmond Ortigues, point d'esbroufe. C'était la sobriété et la clarté dans le propos, une analyse conceptuelle très serrée, un commentaire critique de la métapsychologie freudienne mais avec toujours ce souci de l'auditoire. Un auditoire qui découvrait en s'y frottant toute la richesse et les implications qu'on pouvait tirer d'un texte clinique. Avec lui, le retour à Freud en était vraiment un. Il avait valeur de "pré-texte", considérant comme vous le savez que les textes cliniques de Freud devaient être considérés avant tout comme le "journal de bord d'un clinicien". Il en extrayait toutes les ouvertures pour les prolonger par des considérations touchant à la pratique clinique, nous faisant toucher du doigt les limites de la théorie tout en nous rendant sensibles à ses implications anthropologiques. Bref, ce retour à Freud devenait une relecture sans aucun doute exigeante mais nécessaire pour toutes celles et ceux qui, sans être psychanalystes, allaient devoir se confronter à la souffrance humaine. Si, dans un tel contexte de travail, beaucoup de certitudes tombaient par contre, beaucoup de pistes de travail s'ouvraient.
Dans ces conditions, cela n'étonnera personne, si quelques années plus tard je pris rendez-vous avec lui pour lui demander de diriger ma thèse de doctorat. Quand je lui annonçai que je voulais travailler sur l'œuvre de Freud sans trop savoir encore ce que je voulais montrer, il me dit 'Croyez-vous que ce soit une bonne idée ?
Guillon Claude
31 décembre 2007 dans Textes sur Edmond Ortigues | Lien permanent | Commentaires (0)
Voici l'intervention de Pierre Le Quellec-Wolff, Président de l'Association, prononcée à l'ouverture des Premières Rencontres de l'Association le 29 Septembre 2007.
Bonjour, bienvenue à toutes et à tous.
Je suis très heureux, ému aussi, d’ouvrir ces premières Rencontres des Amis d’Edmond Ortigues, — qui doit se réjouir, car je ne le crois jamais très loin, de nous savoir réunis autour de son nom et de son œuvre. Je salue celles et ceux qui auraient souhaité être avec nous cet après-midi, et se sont excusés de ne l’avoir pu. Mais avant toute chose, je voudrais saluer quelqu’un sans qui n’auraient existé ni ces Rencontres, ni même l’Association, ni sans doute une part importante des propres travaux d’Edmond, — quelqu’un à qui nous devons tous beaucoup pour l’affection, l’intelligence et la générosité dont elle n’a cessé de faire preuve envers nous : je voudrais remercier Marie-Cécile. Sans elle, nous ne serions pas là !
Chargé de présenter notre Association, je m’en tiendrai à quelques points qui permettront, je l’espère, à celles et ceux d’entre vous qui ne la connaissiez pas, ou peu, de voir ce qui a été fait, mais aussi tout ce qui reste à faire. Ensuite interviendront Dominique Berlioz, Catherine Verger, Henri Bichot, Françoise Badelon et Marie Tafforeau. À Marie-Cécile reviendra le dernier mot, si elle le veut bien.
Après le décès d’Edmond Ortigues, en mai 2005, nous étions quelques-uns autour de Marie-Cécile et Isabelle à éprouver le désir de créer au plus vite une association qui ait pour but de « mettre en relation toutes personnes, physiques ou morales, intéressées par le travail d’Edmond Ortigues, de faire connaître et d’inciter, au sein de l’association et à l’extérieur, toute action en relation avec les recherches d’Edmond Ortigues et de poursuivre la valorisation inachevée de son travail ».
Lors d’une réunion à l’appartement de Jussieu, au printemps 2006, le premier Conseil d’administration composé de quatorze membres fondateurs a élu un Bureau (où j’assume la fonction de président, Marie Tafforeau celle de vice-présidente, Isabelle Ortigues-Marty celle de secrétaire, Laurent Marty celle de secrétaire adjoint, et Serge N’Dao celle de trésorier). L’Association, après déposition des statuts en préfecture, existe très officiellement depuis le 12 août 2006, date de publication au J. O. Elle comprend, outre les membres fondateurs, des membres d’honneur et des membres adhérents (la cotisation annuelle a été fixée à 20 euros). Le Conseil d’administration s’est à nouveau réuni à Paris, en février 2007, pour traiter des activités déjà menées et de celles projetées. C’est donc aujourd’hui la troisième occasion d’être ensemble, et le jour de la première Assemblée générale (qui débutera à 17 heures, pour les adhérents et toutes personnes intéressées).
À part nous réunir, maintenir et ouvrir de nombreux contacts, qu’avons-nous fait au cours de ces deux dernières années ? A la fois peu, et beaucoup :
1) Il a d’abord fallu s’occuper des livres de la bibliothèque d’Edmond Ortigues, et des divers documents tels que manuscrits, correspondance professionnelle, tirés à part, textes préparatoires ou inédits, carnets de réflexion, cahiers de notes de lectures, etc. Un vaste chantier s’est ainsi ouvert, qui n’est bien sûr pas terminé. Mais le principal tient à la décision prise par Marie-Cécile Ortigues et Isabelle Ortigues-Marty de faire donation, à l’U. F. R. de Philosophie de Rennes-1, de l’ensemble des livres que possédait Edmond. Il a paru souhaitable que cette bibliothèque ne soit pas dispersée et, à terme, que les divers documents dont j’ai parlé soient également confiés à ce Fonds Edmond Ortigues, dans le cadre de la donation à l’Université de Rennes-1. Mais D. Berlioz vous en dira davantage sur ce point, et sur d’autres, tout à l’heure.
2) Un blog de l’Association a été créé, par les bons soins de Laurent Marty (http : //adeo.typepad.com). Si son contenu est encore très modeste, il ne pourra qu’être enrichi par vos diverses contributions. Je fais donc appel à toutes les bonnes volontés pour nourrir ce blog qui a aussi pour fonction de servir de moyen de contact commode entre les membres de l’Association (et au-delà, bien entendu).
3) Un colloque de philosophie s’est tenu à Dakar, en juin 2007. Au cours de l’une des séances, un hommage à Edmond Ortigues a été rendu sous la forme de trois interventions (dont celle de notre ami Aloyse Ndiaye). L’Association a souhaité que l’Université de Rennes-1 engage un partenariat privilégié avec celle de Dakar au Sénégal, celle de Louvain-la Neuve en Belgique, autour de l’œuvre d’Edmond Ortigues (en favorisant l’accès à ses livres et documents, en soutenant de diverses façons les étudiants ou les chercheurs qui s’intéressent à son travail, etc.)
4) À Chicoutimi, au Québec, une équipe de bénévoles travaillant sous la direction du sociologue Jean-Marie Tremblay a constitué une énorme bibliothèque numérique proposant, gratuitement, de consulter en ligne des textes (articles ou ouvrages) relevant des Classiques des sciences sociales (psychologie, sociologie, anthropologie, philosophie, etc.). L’Association a donné l’autorisation que soit numérisé Religions du Livre, religions de la Coutume, ce livre malheureusement épuisé dont la réédition nous a paru très improbable. Le site québécois (http : // classiques.uqac.ca) donne aussi les coordonnées du blog de notre Association. D’autres textes d’Edmond ou de Marie-Cécile Ortigues pourraient y figurer.
5) De son côté Catherine Verger s’est beaucoup occupée, entre autres choses, de faire mieux connaître l’œuvre d’Edmond Ortigues sur Internet. Elle vous en parlera tout à l’heure.
6) Pour leur part, Pierre Soubeyran et Henri Bichot (avec l’aide de Pierre Jacolin), qui ont fréquenté Edmond Ortigues à Lyon à l’époque où il enseignait et travaillait à sa thèse de théologie, ont pris à cœur d’éclairer cette période de sa vie en apportant témoignages et documents du plus grand intérêt. Mais je laisserai à Henri le soin de vous en dire plus, dans le cadre de sa communication.
7) Enfin, et ce sera le dernier point, je ne peux que me réjouir avec vous de la publication par les Editions Beauchesne de deux livres d’Edmond Ortigues (merci à leur directeur Jean-Etienne Mittelmann, et à Denise Laroutis qui a porté un soin extrême à cette double édition) :
La Révélation et le Droit est un recueil d’articles qu’Edmond Ortigues avait décidé de réunir en volume peu de temps avant sa disparition. Il tenait beaucoup à ce livre. Préfacé par Dominique Iogna-Prat (absent aujourd’hui pour cause de colloque en Bourgogne), l’ouvrage comprend aussi la Lettre à Rome, ce mémoire inédit rédigé en 1952 par Edmond Ortigues au plus fort de la crise qui l’opposait aux autorités ecclésiastiques, et qui aboutira à son exclusion de l’Eglise. Le mémoire avait pour titre : Le problème de la liberté d’expression dans les structures actuelles de l’Eglise. C’est D. Iogna-Prat qui a proposé d’intégrer ce texte au volume de La Révélation et le Droit ; qu’il soit ici remercié d’avoir eu si belle idée.
L’autre ouvrage, c’est Le Discours et le Symbole réédité dans une version revue et augmentée. Il n’a pas été facile de convaincre Edmond que sa thèse de philosophie méritait amplement d’être disponible pour de nouveaux lecteurs : il y a vu longtemps, trop longtemps, « une tentative qui ne se refait pas » (je crois qu’il n’y a pas de censeur plus sévère du travail d’Edmond Ortigues qu’Edmond lui-même). Le Discours et le Symbole est, dans sa nouvelle édition, préfacé par Vincent Descombes (qui nous salue et nous soutient dans nos projets depuis Chicago, où il donne un semestre de cours). Vous y lirez aussi un entretien inédit que j’ai mené avec Edmond Ortigues dans son bureau de Jussieu, en une belle matinée de février 2005, quelques jours seulement avant son hospitalisation. Je lui avais suggéré de rédiger un texte pour accompagner la réédition du livre, une sorte de mise en perspective de l’ouvrage plus de quarante ans après sa rédaction. Mais il a refusé, préférant répondre de vive voix aux questions que je lui poserais, ainsi que nous l’avions fait pour les Entretiens de Courances sur la philosophie et la religion. Par la suite, demandant à V. Descombes ce qu’il pensait de cet entretien, et de l’éventuel intérêt qu’il y aurait à le faire figurer en postface au livre, il m’a répondu : « C’est du pur et du meilleur Ortigues ». Je le crois volontiers…
Quant à ce qui reste à faire (le champ du possible est inépuisable!), il en sera surtout question pendant l’Assemblée générale, et toute suggestion de votre part sera naturellement la bienvenue. Mais on pourrait peut-être déjà songer à la publication d’un nouveau recueil de textes traitant d’anthropologie, à la constitution de groupes de travail sur tel ou tel aspect de l’œuvre d’Edmond Ortigues, à l’organisation de journées d’études, et pourquoi pas, à terme, d’un colloque qui se tiendrait à Rennes, à Paris, ou à Louvain.
Dans l’un de ses textes, Edmond Ortigues écrivait ceci : « Il ne suffit pas qu’un héritage soit offert, il faut aussi qu’il soit reçu ». Au nom de l’Association des Amis, je dirai que cette présence vive, cette présence active qu’il nous a offerte en nous donnant son œuvre, nous l’avons reçue avec reconnaissance et affection. À nous aussi de la diffuser, par tous les moyens, de toutes nos forces, avec tout notre cœur.
Pierre Le Quellec-Wolff
31 décembre 2007 dans Textes sur Edmond Ortigues | Lien permanent | Commentaires (29)
Les Amis d’Edmond Ortigues
Association Loi 1901
Edmond Ortigues nous a quittés le 12 mai 2005. Théologien et philosophe de formation, il a été Professeur de Philosophie à l’Université de Dakar de 1961 à 1966, puis à l’Université de Rennes jusqu’à sa retraite en 1985.
Au cours de sa vie, Edmond Ortigues a travaillé dans de nombreux domaines, la théologie, l’histoire (notamment l’histoire des religions et celle de la Provence), la philosophie, la linguistique, l’ethnologie, l’anthropologie, la psychanalyse. Il a aussi travaillé des langues anciennes, les mathématiques, la physique, le droit, la politique, la biologie et dernièrement les neurosciences. Après la disparition d’Edmond Ortigues, sa famille a entrepris la démarche de donner à l’UFR de Philosophie de l’Université de Rennes sa bibliothèque de travail (sous le nom de « Fonds Edmond Ortigues »), conformément à ses souhaits.
Le travail et la personnalité d'Edmond Ortigues ont touché de nombreuses personnes. Il s’agit d’universitaires, d’enseignants, de psychothérapeutes, de membres de groupes de travail animés par Edmond et Marie-Cécile depuis 1962, d’historiens, d’associations de village ou tout simplement de rencontres au fil de la vie… D’autres personnes auraient aussi souhaité le rencontrer. Toutes ces personnes sont parfois très dispersées géographiquement en France mais aussi à l’étranger…
Une association est née. Avec quels objectifs ?
« Edmond Ortigues n’était pas prêt à quitter le chantier des idées et de la réflexion. Il n’avait pas abandonné ses projets quand ses forces l’ont abandonné » Mohand Chabane. Nous souhaiterions que les chantiers, laissés inachevés, ne soient pas abandonnés, qu’ils soient repris par d’autres, dans le respect de sa pensée, et que leurs fruits soient portés à la connaissance de tous.
Discret, Edmond Ortigues n’avait jamais cherché à diffuser largement son travail. Peut-être nous revient-il le soin de le faire ? Nous pensons qu’une démarche collective permettrait d’initier, de soutenir et de promouvoir cette diffusion.
L’échange d’idées était cher à Edmond Ortigues. L’association se propose de prolonger ces échanges autour du travail qu’il a mené et des nombreuses pistes de recherche qu'il a ouvertes. Nous souhaitons que ce lieu soit amical et convivial, dans l’esprit de respect des personnes et de leurs différences auquel était attaché Edmond.
Ami, collègue, connaissance, lecteur, si vous souhaitez vous joindre à nous,
Contactez : http://adeo.typepad.com
ou écrivez aux Amis d’Edmond Ortigues, 7 rue de l’Eglise, 63450 St Amant Tallende
Cotisation annuelle 2007-2008 Plein tarif : 20 €
Tarif réduit étudiants : 10 €
Bulletin d’adhésion aux Amis d’Edmond Ortigues
NOM : Prénom :
Adresse :
Tel : Messagerie :
Paiement par chèque au nom "Les Amis d’Edmond Ortigues" de 20 € (Plein Tarif) ou 10 € (Tarif Réduit Etudiant) envoyé à l'adresse suivante : Monsieur N'Dao, 137 rue d'Alésia, 75014 Paris
21 novembre 2007 dans Information sur l'Association | Lien permanent | Commentaires (0)